BROWN-OUT : la pathologie sociétale qui envahit les bureaux

Ce phénomène qui court-circuite aujourd’hui le marché du travail signifie littéralement “Baisse de courant”. Le « BROWN-OUT » entre officiellement dans la grande famille des maladies professionnelles aux côtés du “BURN-OUT”, cet investissement professionnel excessif (implicitement imposé) et du “BORE-OUT« , cette abdication professionnelle par manque de stimulation de la part de l’entreprise.

Who let the BROWN-OUT ?

Le “BROWN-OUT” n’est autre que le triste syndrome de la perte de sens au travail. Ce sentiment quotidien que l’accomplissement de ses missions professionnelles est inutile, voire absurde. Cette quête abandonnée de l’épanouissement professionnel laisse alors place à un ennui mortifère, un désinvestissement, un mal-être. La seule motivation résiduelle étant la perspective sécure du salaire mensuel.

Cet anglicisme a été démocratisé par l’anthropologue américain David Graeber dans sa tribune « Du phénomène des jobs à la con » paru dans la revue britannique Strike! en 2013. Selon lui, nous sommes les témoins passifs de la prolifération de tâches et de métiers inutiles, dont l’investigateur n’est autre que le très paradoxal progrès technologique. Les corps de métiers qui en pâtissent directement sont essentiellement les “métiers de bureaux” soit les cadres, managers, financiers…

De l’absurdité du progrès supposé du monde de l’entreprise

Nous évoluons aujourd’hui au sein d’un marché du travail qui privilégie la culture de la performance chiffrée à celle de la valorisation des tâches en tant que telles. Cette perspective constitue un des premiers symptômes qui a favorisé l’émergence du “BROWN-OUT”. Quotas, dead-lines, objectifs… Nous devons être efficaces avant d’être sensés, performants avant d’être réfléchis, compétitifs avant d’être concernés.

Ce tourbillon de données conduit à la noyade progressive des salariés dans une incompréhension de leurs actions, dépourvues de sens directs.

Autre facteur qui découle des mutations contemporaines du monde de l’entreprise : la segmentation excessive des postes qui conduit à une multiplication des tâches et qui tend à opacifier le cœur de métier; et donc les vraies raisons qui avaient initialement poussé les salariés à opter pour cette voie professionnelle. Ces évolutions progressistes semblent paradoxalement teintées de l’inspiration tayloriste de la séparation des tâches dans les usines. Tâches répétées indéfiniment dans cet ennui funeste qui qualifie le “BROWN-OUT”. Progrès vous dites ?

À ce propos, André Spicer et Mats Alvesson, deux chercheurs respectivement britannique et suédois, avancent une théorie qui vise les entreprises qui recrutent des diplômés brillants pour finalement procéder à la mise en veille de leur cerveau.

D’ailleurs, cette répétition lassante des tâches vides de sens se voit bien souvent masquée par un jargon standardisé de faux experts, essentiellement composé d’anglicismes à l’instar de la “to do”, des “inputs” et du “timekeep”. Le but ? Donner une importance factice aux missions données.

Fléau générationnel contré par la rébellion des “Millenials” ?

Alors que faire ? Si les générations antérieures semblent plus résignées, la génération Y n’est pas prête à rentrer si facilement dans les rangs. Nés dans les années 90 et majoritairement jeunes actifs aujourd’hui, ces “Millenials” brandissent haut et fort leurs nouvelles aspirations et expectatives vis à vis du monde du travail. Ce qu’ils recherchent avant tout dans un environnement professionnel ? Le sentiment d’utilité, l’enthousiasme, la passion en opposition à la passivité et la démission que l’on peut expérimenter à travers le “BROWN-OUT”.

Dès lors, de plus en plus de jeunes cadres se tournent vers les métiers de l’artisanat et/ou de l’entrepreneuriat. Beaucoup d’entre eux abandonnent plus facilement les vertus de leur statut social après seulement quelques années sur le marché du travail, en vue de retrouver ce sens et cette liberté perdus. Ouverture et autonomie qu’ils ont pu expérimenter durant leurs années d’études pour la plupart (semestres à l’étranger…).

L’émancipation professionnelle en dehors de l’entreprise devient alors une porte de sortie et un remède au “BROWN-OUT”. Cette indépendance devient plus importante que la sécurité salariale, que les anciennes générations privilégiaient. Nombreux sont les articles qui témoignent de ce phénomène, à l’image du célèbre “j’ai plaqué mon CDI pour faire le tour du monde”.

Bien sûr, si l’abandon définitif de l’adhésion au monde de l’entreprise est une option pour certains, d’autres trouveront un autre bouclier au virus du “BROWN-OUT”… Comme aller relever le compteur dans un autre service, une autre entreprise, une autre industrie.

 

Charlotte Combret

 

 

 

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